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mis : « Jusqu’ici, s’écriait-il, j’avais aisément repoussé les traits lancés du dehors ; mais, pour la première fois, j’ai eu affaire à des ennemis maîtres de la place, ils m’attaquaient dans l’intérieur même du journal, au sein de mes foyers ; ma propre maison était devenue leur arsenal et leur citadelle. » Il s’appliquait aussi, à propos de ces attaques qu’on insérait contre lui dans son propre journal, ce que disait Louis XIV d’un courtisan qui critiquait Versailles ou Marly : « Il est étonnant que Villiers ait choisi ma maison pour en dire du mal. » Geoffroy commençait à s’entêter de lui-même et de son importance, ce qui est un signe de faiblesse. Il avait la tête moins saine le dernier jour que le premier : c’est l’histoire de tous les potentats et dictateurs. Au reste, sa position, vers 1812, semblait entamée de toutes parts et fort compromise ; il était temps qu’il mourût, sans quoi le sceptre ou la férule lui serait échappée.

Dussault, qui venait de lui porter ce coup, était un bon humaniste aussi, mais moins foncièrement que Geoffroy. Il avait vingt-cinq ans de moins. Il était sorti de Sainte-Barbe, et se ressouvint toujours de sa rhétorique. Ses articles, recueillis sous le titre d’Annales littéraires, se laissent encore parcourir agréablement, ou du moins avec estime. Toutefois son élégance étudiée, compassée, est un peu commune ; son jugement ne ressort pas nettement. Il se livre souvent à des réflexions vagues, banales, un peu à côté de son sujet ; il ne va pas au fait ni au fond. Il n’ose pas tracer avec vigueur les démarcations et les étages entre les talents. Il n’est ni pour ni contre Chateaubriand. Il ne dit pas trop de mal de Mme  de Staël, mais il dit encore plus de bien de Mme  de Genlis. Il est un peu de ceux dont parle Vauvenargues (dans le portrait de Lacon ou le petit homme), de ces connaisseurs qui mettent dans une même classe Bossuet