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avait tenus tant qu’il avait pu ensevelis au fond de leur palais. Il s’agissait de les restaurer et de les remettre en lumière, à leur place, au-dessus de l’auteur de Mérope et de Zaïre. Sur Corneille, sur Racine, sur Molière, Geoffroy a des remarques excellentes ; il marque en plein les traits vrais de leur génie. Il aime Molière, sa franchise, son naturel, sa gaieté ; à défaut d’autres, ce sont là les vertus de Geoffroy. De ce qu’un homme a des défauts et pis encore, ce n’est jamais une raison de mépriser son talent ni son esprit. L’abbé Maury et l’abbé Geoffroy, chacun dans son genre et toute proportion gardée, sont deux exemples de natures très-grossières, mais qui avaient puissance et talent. Si Geoffroy se contraignait si peu sur Voltaire et Rousseau, les deux idoles du siècle, on peut penser qu’il se gênait encore moins quand il rencontrait sur son chemin l’abbé Morellet, Suard, Rœderer, Chénier. Il a engagé avec eux tous des querelles où il s’est porté à d’incroyables injures. Il me semble entendre un de ces personnages du troisième ordre dans Molière, un de ces bons bourgeois qui s’en donnent à gorge chaude, et à qui la gueule, comme on disait alors, ne fait pas faute. « C’est énerver, prétend Geoffroy, la critique littéraire que d’aller chercher des circonlocutions pour exprimer des défauts qu’on peut très-clairement spécifier d’un seul mot : appliqué à la personne, ce mot serait une injure ; appliqué à l’ouvrage, c’est le mot propre. » Et ce mot, il le lâche aussitôt sans plus songer à sa distinction entre la personne et l’ouvrage : « Quelques-unes de mes expressions, dit-il encore, leur paraissent ignobles et triviales : je voudrais pouvoir trouver des mots encore plus capables de peindre la bassesse de certaines choses dont je suis obligé de parler. Mes phrases ne sont pas le résultat d’un calcul, d’une froide combinaison d’esprit ; elles suivent les