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roïsme. Il aurait eu besoin plutôt de se modérer parfois et de se contenir ; car, au milieu d’un retour général louable et d’un désabusement salutaire, le vent poussait à la réaction, et le danger était, comme toujours, qu’on ne sortît d’un faux courant que pour se jeter aussitôt dans un autre.

Quoi qu’il en soit, un peu d’exclusion en critique ne nuit pas au succès, quand ce côté tranchant tombe juste et porte dans le sens de l’opinion. C’est ce qui se vérifia pour les écrivains distingués dont nous avons à parler ; il s’agit des écrivains littéraires du Journal des Débats d’alors. Vers 1801, cette feuille, sous l’habile direction de MM. Bertin, comptait parmi ses rédacteurs Geoffroy, Dussault, Feletz, Delalot, Saint-Victor, l’abbé de Boulogne. Vers le même temps, au Mercure, et dans une alliance étroite avec le Journal des Débats, écrivaient La Harpe, l’abbé de Vauxcelles, Fiévée, Michaud, Gueneau de Mussy, Fontanes, Bonald, Chateaubriand. Dans les rangs opposés, on comptait Rœderer au Journal de Paris ; M. Suard et un jeune talent viril, Mlle  de Meulan (depuis Mme  Guizot), au Publiciste ; Ginguené et ses amis les philosophes, dans la Décade. Enfin, le Moniteur trahissait quelquefois, dans certains articles impétueux, un journaliste d’une nature extraordinaire, qui n’était autre que le premier Consul lui-même. Tel était, à n’y jeter qu’un coup d’œil très-sommaire, le personnel des journaux sous le Consulat. Il s’engagea alors des querelles de plume acharnées, et il se livra de furieux combats : la politique, la philosophie étaient en jeu dans les moindres questions littéraires. Mais, aux abords de l’Empire, toute cette ardeur s’amortit par degrés, et cette mêlée s’éclaircit beaucoup. Quelques-uns des écrivains que nous avons cités, devenus grands personnages et grands fonctionnaires, laissèrent la plume. Quelques