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La tradition nous a entretenus mainte fois des beaux jours de la critique littéraire à cette époque du Consulat et de l’Empire ; on regrette ce règne brillant de la critique, on voudrait le voir renaître sous une forme qui convînt à nos temps. Nous serions bien un peu étonnés si, un matin, nous trouvions au bas de nos journaux les mêmes articles de variétés, les mêmes feuilletons, et sur les mêmes questions littéraires, prises du point de vue où elles intéressaient si fort alors. Notez que je ne parle ici que de ces questions et de ces sujets qui semblent éternellement à l’ordre du jour, Racine, Corneille, Voltaire, La Bruyère, Le Sage. Nous serions, dis-je, étonnés de la manière dont ces sujets étaient traités ; elle nous paraîtrait beaucoup trop aisée, beaucoup trop simple. Et en général, quand on revient, après quelques années d’intervalle, sur d’anciens articles de critique et de polémique, on est frappé de la disproportion qui paraît entre ces articles mêmes et l’effet qu’ils ont produit ou le souvenir qu’ils ont laissé. Ce que nous disons là des autres, nous pouvons déjà le vérifier pour nous-mêmes. Qu’on se rappelle le Globe, ce journal si sérieux, si distingué, qui croyait ressembler si peu à un autre, et qui a eu de l’influence sur la jeunesse lettrée, dans les dernières années de la Restauration. Reprenez-le aujourd’hui : les articles semblent tout petits, tout incomplets ; ils nous font l’effet d’habits devenus trop courts pour notre taille. Je ne sais si nous avons grandi, nous avons grossi du moins. Bien des doctrines qui semblaient toutes neuves alors ont eu depuis cause gagnée et sembleraient triviales aujourd’hui. La première condition pour bien apprécier les anciens critiques et leurs productions de circonstance, c’est donc de se remettre en situation et de se replacer en idée dans l’esprit d’un temps. L’essentiel pour la critique, pour celle dont nous