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tu veux me donner une autre mère, je veux que ce soit la petite Marie. » — Et sans attendre de réponse, il ferma les yeux et s’endormit.

Touchante délicatesse que ce soit le petit Pierre, l’ange d’innocence, qui, le premier, exprime, en s’endormant, cette idée qui n’a été que vague et flottante jusque-là ! Germain, à partir de ce moment, ne se fait plus faute de la bercer et de la retourner en cent façons. Il s’aperçoit que cette petite Marie, à laquelle il n’avait jamais songé pour sa beauté, est plus fraîche qu’une rose de buisson, et il se détaille le gracieux portrait en concluant : « C’est gai, c’est sage, c’est laborieux, c’est aimant, et c’est drôle… Je ne vois pas ce qu’on pourrait souhaiter de mieux. » Dans le chapitre qui suit la Prière du Soir et qui a pour titre Malgré le froid, il y a un moment où j’ai craint qu’une brusquerie fâcheuse ne vînt gâter la pureté de l’ensemble : mais que voulez-vous ? nous sommes dans la réalité, nous sommes aux champs, et on a beau vouloir se tenir dans le sentiment pur, il y a, comme dit Mme  de Sévigné, de certaines grossièretés sensibles dont on ne se passe pas si aisément. Germain en triomphe du moins, il respecte cette pureté de la jeune fille qu’il a étonnée un moment ; il achève son voyage, et n’arrive qu’au matin chez la veuve, la lionne de village, dont il est dégoûté, même avant de l’avoir vue. Je n’ai pas à continuer ici cette analyse ; je n’ai voulu insister que sur les parties tout à fait rares et neuves de l’idylle, sur la première partie du voyage. La petite Marie, en arrivant chez le fermier qui l’a louée comme bergère, court un danger sérieux de la part de cet homme brutal. Elle se sauve effrayée, emmenant le petit Pierre, et retrouve à temps Germain pour la protéger et la venger. Il est bien encore que ce soit le petit Pierre qui raconte à Germain la mésaven-