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ment et de lui faire un lit, d’allumer du feu avec des branches sèches, et d’opposer encore la bonne humeur au guignon. Germain, en présence de ce mérite qu’il n’avait jamais soupçonné, s’étonne. Ses idées, sans qu’il s’en aperçoive trop d’abord, commencent à prendre une certaine tournure. Cependant la nature parle, l’estomac crie ; il a faim. On peut bien, sans offense, détacher une perdrix d’un certain cadeau de gibier qu’il portait à sa future. C’est Marie qui est encore l’ordonnatrice et l’intendante de ce festin improvisé. « Petite Marie, l’homme qui t’épousera ne sera pas un sot ! » telle est l’idée qui naît irrésistiblement dans l’esprit de Germain, en la voyant si avisée, si industrieuse. Il commençait non-seulement à le penser, mais à le dire tout haut et à s’embrouiller un peu : « Dites donc, laboureur ! voilà votre enfant qui se réveille, » dit la petite Marie.

L’enfant s’éveille en effet : il entre aussitôt en appétit, à son tour, et en babil. Tout ce joli parler est déduit ici au long avec une vérité de nature qui, poussée à ce degré, est plus que la science des mères, et qui est le don unique du génie. Marie continue de s’occuper de petit Pierre, elle le rassure dans ses terreurs, elle l’amuse, et Germain ne peut s’empêcher de remarquer : « Il n’y a personne comme toi pour parler aux enfants, et pour leur faire entendre raison. » Au milieu de cela il reparle toujours de sa première femme, de sa pauvre défunte, et maudit ce voyage entrepris pour la remplacer. Cependant l’enfant fait sa prière, que lui souffle mot à mot la petite Marie, et, comme il est arrivé à un certain endroit de l’oraison où il s’endort régulièrement chaque soir, il ferme les yeux déjà ; mais ses idées à lui-même s’embrouillent un peu à ce moment de s’endormir, et, mêlant vaguement tout ce qu’il a vu et entendu durant cette soirée : « Mon petit père, dit-il, si