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faut que Germain, insensiblement, et avant la fin de ce court voyage, devienne amoureux de cette petite Marie qu’il n’avait jamais considérée jusque-là que comme une enfant.

De petits incidents surviennent. Petit Pierre a faim : il faut s’arrêter, et tous les trois en profitent pour prendre un léger repas. « Les paysans ne mangent pas vite. » On perd une heure ; on est en retard, et il reste encore à traverser les grands bois. Un épais brouillard s’élève avec la nuit. La Grise, avec son fardeau, a fort à faire. On se trompe de route, et l’on est en pleine forêt. Force est de descendre de cheval et de cheminer à tout hasard, Germain tenant la bête par la bride, tandis que Marie porte le petit Pierre endormi, qu’elle enveloppe dans sa cape du mieux qu’elle peut. L’embarras de s’orienter redouble : « Le brouillard rampait et semblait se coller à la terre humide. » On rôde autour de cette maudite mare-au-diable (c’est ainsi que l’appellent les gens du pays), et, après maint effort pour s’en éloigner, on y est toujours ramené comme par un sort. Bref, il faut bien prendre le parti de s’arrêter et de bivouaquer, d’autant plus que la Grise, dans un moment d’impatience, a cassé ses sangles et s’est sauvée seule, au galop, à travers la forêt. Ici, dans deux chapitres intitulés Sous les grands Chênes et Prière du Soir, on a une suite de scènes délicieuses, délicates, et qui n’ont leur pendant ni leur modèle dans aucune idylle antique ou moderne.

Germain, comme tous les hommes, même les plus robustes et les plus vaillants, est impatient de nature : la petite Marie, comme les femmes quand elles sont excellentes, est la patience même. Dans sa vie de pauvre bergère aux champs, n’a-t-elle pas appris à se suffire avec rien, à tirer parti de tout ? Au milieu du désarroi où l’on est, elle trouve moyen de tenir l’enfant chaude-