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imposer aux autres une foi qu’ils ne sont pas bien sûrs d’avoir eux-mêmes, s’échauffent en parlant, affirment sur tous les tons, et se font prophètes afin de tâcher d’être croyants. Le véritable artiste est digne de ne pas procéder ainsi ; et pour tous ceux qui ont de bonne heure connu et admiré Mme Sand, ç’a toujours été un sujet d’étonnement et une énigme inexplicable, que de la trouver si aisément crédule et, je lui en demande bien pardon, si femme sur un point : elle croit volontiers à l’idée des autres. Avec un talent du premier ordre et tel qu’on n’en trouverait pas de supérieur en notre littérature dès l’origine, elle semble craindre que ce talent, dans son activité et dans sa puissance, ne manque de sujet, ne manque de pâture. À cette fin elle reçoit et prend le mot et l’idée de gens qui, en vérité, lui sont inférieurs par maint endroit. Elle les croit supérieurs parce qu’ils concluent carrément, comme si un grand peintre, un grand poëte avait besoin absolument de conclure. « C’est un écho qui double la voix, » a-t-on pu dire d’elle à cet égard, et en songeant à ceux dont elle prétendait s’inspirer. Et elle fait mieux que de doubler leur voix, elle la rend méconnaissable. Combien de fois n’a-t-elle pas fait passer leurs ennuyeux paradoxes à l’état de magnifiques lieux-communs ! Et c’est ainsi que, dans ces charmants volumes de la Mare-au-Diable, je trouve en tête la page que j’ai citée, et, tout à la fin, je ne sais quelle brochure socialiste qui vient s’ajouter là, on ne sait pourquoi. Imaginez un peu de Raynal (du meilleur) cousu par mégarde avec un exemplaire de Paul et Virginie.

J’avais à dire ceci pour l’acquit de ma conscience ; c’est le côté faible et le travers d’un grand talent. Je n’ai plus maintenant qu’à louer et à m’émerveiller en toute franchise. La scène un peu idéale de labour, que