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M. Guizot me permettra ici de trouver que cette conclusion, en la tenant pour vraie dans sa généralité, est parfaitement vague et stérile. Dire en général aux gouvernants qu’il ne faut être à aucun degré révolutionnaire, ce n’est nullement leur indiquer les voies et moyens, les inventions nécessaires pour conserver ; car c’est dans le détail de chaque situation que gît la difficulté et qu’il y a lieu à l’art. Si vous venez dire à un général d’armée : « N’adoptez que la méthode défensive, jamais l’offensive, » en sera-t-il beaucoup plus avancé pour gagner une bataille ? Comme s’il n’y avait pas des moments d’ailleurs où, pour défendre Rome, il faut aller attaquer Carthage !

En ce qui est des hommes en particulier, la conclusion de M. Guizot me paraît beaucoup trop absolue. Cromwell, dites-vous, n’a réussi qu’à moitié parce qu’il avait été révolutionnaire. J’ajouterai que Robespierre depuis a échoué par la même cause et par d’autres raisons encore. Mais Auguste avait réussi dans les deux rôles. Il a été tour à tour Octave et Auguste ; il a proscrit et il a fondé. Et comme ce même Auguste nous le dit si éloquemment par la bouche du grand Corneille :

Mais l’exemple souvent n’est qu’au miroir trompeur ;
Et l’ordre du Destin, qui gêne nos pensées,
N’est pas toujours écrit dans les choses passées.
Quelquefois l’un se brise où l’autre s’est sauvé,
Et par où l’un périt un autre est conservé.

Voilà la seule philosophie pratique de l’histoire : rien d’absolu, une expérience toujours remise en question, et l’imprévu se cachant dans les ressemblances.

Bossuet a l’habitude, dans ses vues, d’introduire la Providence, ou plutôt il ne l’introduit pas : elle règne chez lui d’une manière continue et souveraine. J’admire cette inspiration religieuse chez le grand évêque ; mais,