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jusqu’après Guillaume III, et jusqu’à l’entière consolidation de l’Établissement de 1688. À voir l’intention directe qui ressort du tableau et qui se traduit formellement dans les conclusions, il est clair qu’aux yeux de l’éminent historien, toutes les leçons que peut nous fournir cette Révolution d’Angleterre, déjà si fertile en analogies réelles ou fausses, ne sont pas épuisées. Cette préoccupation du régime anglais et du remède anglais appliqué à notre maladie, pour être une erreur plus spécieuse et plus prochaine de nous, ne m’en semble pas moins une erreur grave et qui nous a déjà été assez funeste. Par exemple, on a beaucoup parlé, sous le précédent régime constitutionnel, du pays légal : « Le pays légal est pour nous, nous avons le pays légal. » Où cela a-t-il mené ? En Angleterre, un tel mot est significatif ; car on y a, avant tout, le respect de la loi. En France, c’est à d’autres instincts encore qu’il faut s’adresser, c’est à d’autres fibres qu’il faut se prendre pour tenir même le pays légal. Ce peuple gaulois est rapide, tumultueux, inflammable. Est-il besoin de rappeler à l’éminent historien, qui a connu et manié les deux pays, ces différences essentielles de génie et de caractère ? Et c’est avec le caractère plutôt qu’avec les idées qu’on se gouverne. Un étranger, homme d’esprit, a coutume de partager la nature humaine en deux, la nature humaine en général et la nature française, voulant dire que celle-ci résume et combine tellement en elle les inconstances, les contradictions et les mobilités de l’autre, qu’elle fait une variété et comme une espèce distincte. M. de La Rochefoucauld, qui avait vu la Fronde et toutes ses versatilités, disait un jour au cardinal Mazarin : « Tout arrive en France ! » C’est le même moraliste, contemporain de Cromwell, qui a dit cet autre mot si vrai et qu’oublient trop les historiens systématiques : « La for-