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même et qu’il grandit. Il lui fallut quelque apprentissage encore ; mais, à partir de 1837, il déploya tout son talent. Il n’eut pas seulement ce que j’appelle la chaleur de son ambition, il en eut par instants la flamme dans sa parole. Pourtant cette flamme éclatait plutôt encore dans son regard, dans son geste, dans son action. Sa parole, à l’isoler en elle-même, a plutôt de la force et du nerf. Je m’arrête en le louant. On ne saurait ici, quand on a un sentiment de citoyen, s’en tenir au simple point de vue littéraire ; car, est-il donc possible de l’oublier ? cette parole s’est traduite en actes, elle a eu des effets trop réels. Cette faculté merveilleuse d’autorité et de sérénité (pour prendre un mot qu’il affectionne), cet art souverain de conférer aux choses une apparente simplicité, une évidence décevante, et qui n’était que dans l’idée, a été l’une des principales causes de l’illusion qui a perdu le dernier régime. L’éloquence, à ce degré, est une grande puissance ; mais n’est-ce pas aussi une de ces puissances trompeuses dont a parlé Pascal ? Il existait, dans les dernières années du précédent régime, deux atmosphères très-distinctes, celle de l’intérieur de la Chambre et celle du dehors. Quand l’éloquence de M. Guizot avait régné à l’intérieur, quand elle avait rempli et refait cette atmosphère artificielle, on croyait avoir conjuré les orages. Mais l’atmosphère du dehors en était d’autant plus chargée et sans équilibre avec l’air du dedans. De là finalement l’explosion.

Le style de M. Guizot est sorti de ces épreuves de tribune plus ferme et mieux trempé qu’auparavant ; sa pensée en est sortie non modifiée. Le présent Discours, qu’il vient de publier, l’atteste. Ce Discours est écrit de main de maître, mais aussi d’un ton de maître. Il y envisage la Révolution d’Angleterre dans tout son ensemble, depuis l’origine des troubles sous Charles Ier