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au présent mobile, divers et changeant. Pour moi, quand j’ai lu quelques-unes de ces hautes leçons si nettes et si tranchées sur l’Histoire de la Civilisation, je rouvre bien vite un volume des Mémoires de Retz, pour rentrer dans le vrai de l’intrigue et de la mascarade humaine.

Nous touchons ici à l’une des raisons essentielles qui font que l’historien, même le grand historien, n’est pas nécessairement un grand politique ni un homme d’État. Ce sont là des talents qui se rapprochent, qui se ressemblent, et qu’on est tenté de confondre, mais qui diffèrent par des conditions intimes. L’historien est chargé de raconter et de décrire la maladie quand le malade est mort. L’homme d’État se charge de traiter le malade encore vivant. L’historien opère sur des faits accomplis et des résultats simples (au moins d’une simplicité relative) : le politique est en présence d’une certaine quantité de résultats, dont plus d’un a chance de sortir à tout moment. Des faits récents ont mis cette dernière vérité en lumière. Je fais ici appel au bon sens de tout le monde, et je dis : En politique, il y a plusieurs manières différentes dont une chose qui est en train de se faire peut tourner. Quand la chose est faite, on ne voit plus que l’événement. Ce qui s’est passé sous nos yeux en février est un grand exemple. La chose pouvait tourner de bien des manières différentes. Dans cinquante ans on soutiendra peut-être (selon la méthode des doctrinaires) que c’était une nécessité. En un mot, il y a bien des défilés possibles dans la marche des choses humaines. Le philosophe absolu a beau vous dire : « En histoire, j’aime les grandes routes, je ne crois qu’aux grandes routes. » Le bon sens répond : « Ces grandes routes, c’est l’historien le plus souvent qui les fait. On fait la grande route