Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/315

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui-même, il nous dit comment il l’a trouvé plutôt consolant et doux. Je demande à citer ici quelques stances de cette pièce, pour reposer l’esprit, à la fin de cette étude un peu disparate, sur quelques tons tout à fait purs :

J’espérais bien pleurer, mais je croyais souffrir,
En osant te revoir, place à jamais sacrée,
Ô la plus chère tombe et la plus ignorée
Où dorme un souvenir !


Que redoutiez-vous donc de cette solitude ?
Et pourquoi, mes amis, me preniez-vous la main,
Alors qu’une si douce et si vieille habitude
Me montrait ce chemin ?


Les voilà ces coteaux, ces bruyères fleuries,
Et ces pas argentins sur le sable muet,
Ces sentiers amoureux, remplis de causeries,
Où son bras m’enlaçait.


Les voilà ces sapins à la sombre verdure,
Cette gorge profonde aux nonchalants détours,
Ces sauvages amis dont l’antique murmure
A bercé mes beaux jours.


Les voilà, ces buissons où toute ma jeunesse,
Comme un essaim d’oiseaux, chante au bruit de mes pas ;
Lieux charmants, beau désert où passa ma maîtresse,
Ne m’attendiez-vous pas ?


Ah ! laissez-les couler, elles me sont bien chères,
Ces larmes que soulève un cœur encor blessé !
Ne les essuyez pas, laissez sur mes paupières
Ce voile du passé !


Je ne viens point jeter un regret inutile
Dans l’écho de ces bois témoins de mon bonheur :
Fière est cette forêt dans sa beauté tranquille,
Et fier aussi mon cœur.


Que celui-là se livre à des plaintes amères
Qui s’agenouille et prie au tombeau d’un ami.Suite et fin de la strophe, page suivante :
Tout respire en ces lieux ; les fleurs des cimetières
Ne poussent point ici.