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tiquette, avait tardé plus qu’un autre à lui apporter. Le poëte de Namouna et de Rolla lui disait donc en fort beaux vers qu’après avoir cru douter, après avoir nié et blasphémé, un éclair soudain s’était fait en lui :

Poëte, je t’écris pour te dire que j’aime,
Qu’un rayon du soleil est tombé jusqu’à moi,
Et qu’en un jour de deuil et de douleur suprême,
Les pleurs que je versais m’ont fait penser à toi.

Au milieu de sa flamme et de sa souffrance, un sentiment d’élévation céleste, une idée d’immortalité, disait-il, s’était éveillée en son âme ; les anges de douleur lui avaient parlé, et il avait naturellement songé à celui qui, le premier, avait ouvert ces sources sacrées d’inspiration en notre poésie. M. de Musset rappelait, à ce propos, les vers que M. de Lamartine, jeune, avait adressés à lord Byron prêt à partir pour la Grèce ; et, sans aspirer à une comparaison ambitieuse, il lui demandait de l’accueillir aujourd’hui avec son offrande comme lui-même avait été reçu autrefois du grand Byron.

Un journal vient de publier la réponse en vers que fit M. de Lamartine à M. de Musset, réponse qui date de 1840, et qui, en paraissant aujourd’hui, a presque un air d’injustice. Car M. de Musset n’est plus, il y a beau jour, sur ce pied de débutant en poésie où l’a voulu voir M. de Lamartine. Évidemment, ce dernier a pris M. de Musset trop au mot dans sa modestie ; il avait oublié qu’à cette date de 1840, cet enfant aux blonds cheveux, ce jeune homme au cœur de cire, comme il l’appelle, avait écrit la Nuit de Mai et la Nuit d’Octobre, ces pièces qui resteront autant que le Lac, qui sont plus ardentes, et qui sont presque aussi pures. M. de Lamartine a le premier jugement superficiel en poésie ; je me rappelle ses