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aurait lu une page de Voltaire où quelque trait peu religieux se serait glissé, on lirait cet Éloge du général Drouot dont nous parlions dernièrement, et qui prouverait que la religion et le patriotisme se concilient très-bien, et dans le guerrier qu’on loue et à la fois dans l’orateur qui le célèbre.

Après une lecture qui aurait un peu trop exalté l’orgueil militaire des auditeurs, on leur lirait cette belle lettre de M. d’Argenson à Voltaire, écrite du champ de bataille de Fontenoy, et qui se termine par ces mots : « Mais le plancher de tout cela est du sang humain, des lambeaux de chair humaine ! » Ils y verraient qu’on n’était pas seulement brave sous l’ancienne monarchie, et qu’on y était humain. On y pourrait joindre tout de suite l’Enlèvement d’une redoute, de Mérimée, qui montre aussi la gloire militaire par son revers sombre. C’est ainsi que, par le simple choix des morceaux et avec deux mots d’indication à peine jetés dans l’intervalle, on ferait un Cours de littérature pratique et en action.

Mais je ne sais pourquoi j’ai l’air d’inventer et de supposer, quand presque tout cela se fait dès à présent, et quand j’ai sous les yeux une liste de lectures déjà anciennes, que M. Just Olivier et M. Émile Souvestre ont eu l’obligeance d’écrire pour moi. M. Souvestre a pris, de plus, le soin d’y noter l’effet que les divers morceaux ont paru produire sur l’auditoire ; on a là une sorte d’échelle dans les impressions populaires, qui ne laisse pas d’être instructive et curieuse. On me permettra de m’y arrêter.

L’auditoire de M. Souvestre[1] est un des plus complets et des plus homogènes ; c’est un auditoire déjà

  1. M. Souvestre est mort depuis, prématurément enlevé à la littérature et à ses amis, le 6 juillet 1854, d’une maladie du cœur.