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tiers depuis le passage du Niémen, et non par les combats, mais par l’impossibilité de subsister dans un pays pauvre et que l’ennemi ravageait en le quittant. Ils remarquaient la mortalité effrayante des chevaux, qui n’avaient à manger le plus souvent que la paille des toits ; une partie de la cavalerie mise à pied, la conduite de l’artillerie rendue plus difficile, les convois d’ambulance forcés de rester en arrière, et par suite les malades presque sans secours dans les hôpitaux. « Ils se demandaient non-seulement ce que deviendrait cette armée si elle était battue, mais même comment elle supporterait les pertes qu’allaient causer de nouvelles marches et des combats plus sérieux. » Toutefois ces prévisions sombres, qui ont été trop éclairées par l’événement, pouvaient encore alors se perdre et se dissiper dans quelqu’une de ces solutions imprévues et glorieuses dont l’histoire des guerres est remplie.

Après la bataille de la Moskowa, M. de Fezensac d’aide-de-camp devint colonel du 4e régiment de ligne. Depuis lors son récit n’est plus que l’histoire de ce régiment et du 3e corps, dont il fait partie. L’unité dans l’intérêt commence.

Dès le premier jour qu’il prend en main son commandement, le nouveau colonel est frappé de l’épuisement des troupes et de leur faiblesse numérique. « Au grand quartier-général, dit-il, on ne jugeait que les résultats, sans penser à ce qu’ils coûtaient, et l’on n’avait aucune idée de la situation de l’armée ; mais en prenant le commandement d’un régiment, il fallut entrer dans tous les détails que j’ignorais, et connaître la profondeur du mal. » Le 4e régiment était réduit à 900 hommes, de 2,800 qui avaient passé le Rhin. Toutes les parties de l’habillement, et surtout la chaussure, étaient en mauvais état. Le moral des troupes avait déjà éprouvé de