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Louis XV, 89 vint trop tard. La société était déjà gâtée.

Je n’irai pas jusqu’à croire que Commynes conseillât la tenue des États à Louis XI, si jaloux et si méfiant en matière d’autorité. Commynes loue fort son maître de l’unité qu’il voulait établir dans son royaume, de l’unité dans les poids et mesures, de l’unité dans les Coutumes et de l’espèce de Code civil qu’il projetait ; ajoutez-y encore le projet d’abolir les péages à l’intérieur, et d’établir pour le commerce la libre circulation, en rejetant les douanes à la frontière. Mais la pensée de Louis XI n’allait pas au delà. Ces idées de Commynes purent ne lui venir à lui-même qu’après la mort de son maître, quand il eut connu à son tour l’adversité, l’oppression, et qu’il eut pu vérifier par expérience sa maxime : « Les plus grands maux viennent volontiers des plus forts ; car les faibles ne cherchent que patience. » Mais, quelle que soit leur date dans la vie de Commynes, les idées qu’on vient de voir donnent la mesure de l’étendue de son horizon. C’est le côté le plus sérieux et le plus nouveau par où il a mérité d’être le bréviaire des hommes d’État qui ont suivi. En un mot, Commynes est tellement moderne par les idées et par les vues, qu’on pourrait assigner en le lisant (ce qui est bien rare pour les auteurs d’une autre époque) la place qu’il aurait tenue à coup sûr dans notre ordre social actuel, et sous les divers régimes que nous avons traversés depuis 89.

Cependant Louis XI tombe malade : il a plusieurs attaques d’apoplexie, qui altèrent de plus en plus son humeur et aggravent ses soupçons. Le tableau des dernières années de Louis XI est d’une vérité frappante et inimitable chez Commynes. Des poëtes, des romanciers en ont tiré des sujets ; mais ni le roman de Walter Scott, ni la chanson de Béranger, ne rendent la réalité dans toute sa justesse, et avec la parfaite mesure qu’elle nous