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Commynes a vu et sondé la plaie de ces temps rudes et violents du moyen-âge, la guerre. Il la prise peu dans sa gloire, il la déteste dans son tous-les-jours ; il a en horreur les avanies, habituelles aux gens de guerre d’alors, même en pays ami, et il comprend déjà les intérêts positifs modernes en digne serviteur de son prudent maître. Point de bravade chez lui, point de fausse gloire ni de chevalerie prolongée : « C’est grand honneur de craindre ce que l’on doit, dit-il, et d’y bien pourvoir. » Il est plein de ces maximes-là, qui mènent au juste-milieu, comme nous l’entendons, et au gouvernement de la société sans choc, moyennant un sage équilibre des forces et des intérêts.

Il est partisan du gouvernement d’Angleterre, comme Montesquieu, et par des raisons du même ordre. Il est pour le self-government, ou, du moins pour les taxes consenties, d’où le reste de la liberté moderne et de l’ordre constitutionnel dépend. Et ce ne sont pas des velléités ni des éclairs d’aperçus ; il y insiste et embrasse l’idée moderne dans sa portée. Il faut lire là-dessus le chapitre xixe du livre V, intitulé Caractère du peuple françois et du gouvernement de ses rois, pour avoir de Commynes et de son esprit politique toute l’estime qu’il mérite. Il pose en principe qu’il n’y a ni roi ni seigneur qui ait pouvoir de mettre un denier sur ses sujets sans octroi et consentement de ceux qui doivent le payer. Il pense que le délai même que ce consentement entraîne en cas de guerre, est bon et profitable ; que les rois et princes, quand ils n’entreprennent rien que du conseil de leurs sujets, en sont plus forts et plus craints de leurs ennemis. Il a remarqué que, de toutes les seigneuries du monde dont il a connaissance, celle où la chose publique est le mieux traitée, où règne le moins de violence sur le peuple, même en temps de guerre civile,