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et rien n’est piquant comme le récit qu’il en fait. Jamais homme ne fut moins dupe de l’apparence militaire, et ne se laissa moins prendre à la montre. Cette armée de Bourgogne dont il est alors, et qui se présente avec tant de faste, ne lui paraît, de près, se composer que de gens mal armés, maladroits, rouillés par une longue paix de trente ans. On devine que la décadence est très-avancée, et qu’au premier choc sérieux viendra la ruine. Environ un siècle auparavant, Froissart, le dernier des historiens du moyen-âge et le plus brillant, décrivait la bataille de Poitiers (1356) dans un récit tout à fait épique et grandiose. Rien n’est plus largement présenté, plus clair, plus circonstancié que cette bataille de Froissart, mieux suivi dans les moindres épisodes en même temps que nettement posé dans l’ensemble, et couronné par une scène tout héroïque. On suit à la fois distinctement le plan général comme dans une relation moderne, et chaque duel singulier comme dans un combat de l’Iliade. Si Commynes, en racontant la bataille de Montlhéri, avait voulu faire la parodie de celle de Poitiers, il ne s’y serait pas pris autrement. La bataille, ici, s’engage tout de travers, au rebours du plan projeté et du sens commun. Charles, posté à Longjumeau, place le connétable de Saint-Pol à Montlhéri, et veut combattre à Longjumeau ; Louis XI veut éluder le combat : c’est le contraire qui arrive. Des deux côtés sont des traîtres, ou du moins des gens qui se ménagent à double fin, Saint-Pol du côté de Bourgogne, Brézé du côté du roi, et ces faux chevaliers figurent au premier plan. Au moment où le combat s’engage devant Montlhéri, les Bourguignons font précisément l’inverse de ce qu’on avait décidé dans le Conseil. Les gens du roi étaient retranchés au pied du château derrière une haie et un fossé ; il s’agissait de les débusquer avec des ar-