Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/251

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aujourd’hui moins gaiement : au sortir de l’enfance), et en l’âge de pouvoir monter à cheval, je fus amené à Lille devers le duc Charles de Bourgogne. » Voilà Commynes, âgé d’environ dix-sept ans, qui met le pied à l’étrier et qui entre d’emblée à l’école du monde. Il avait été jusque-là assez négligemment élevé par un tuteur, ne savait ni grec ni latin, ce qu’il regrettait plus tard ; mais nous ne le regrettons ni pour lui ni pour nous : il eut moins à faire pour se débarrasser de la rhétorique pédantesque de son temps. Quand il écrivait ses Mémoires dans sa retraite, il les adressait à un de ses amis, archevêque de Vienne, et il a l’air d’espérer que cet ami, ancien aumônier de Louis XI, et, de plus, savant médecin et astrologue, ne les lui a demandés que pour les mettre ensuite en latin et en composer quelque œuvre considérable. Cet espoir de Commynes que son livre pourra être mis en langue latine, ressemble presque à une plaisanterie, et peut passer pour une simple politesse. Quoi qu’il en soit, son récit, d’autant moins ambitieux qu’il ne le donnait qu’à titre de matériaux, est resté l’histoire définitive de ce temps, un monument de naïveté, de vérité et de finesse ; l’histoire politique en France date de là.

Avant de passer au service de Louis XI, Commynes était donc attaché à l’héritier de Bourgogne, au prince qui allait être Charles le Téméraire. Louis XI, en montant sur le trône, avait soulevé toutes les méfiances de la noblesse, qui sentait d’instinct qu’elle avait affaire à un prince non chevaleresque. Ces ambitions féodales se liguèrent et s’armèrent ; on appelait cela la Ligue du bien public ; et tous ces grands vassaux, ces seigneurs vinrent livrer bataille au nouveau roi à quelques lieues de sa capitale, au bas de la colline de Montlhéri (1465). C’est la première bataille à laquelle assista Commynes,