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l’éloquence de l’abbé Lacordaire. Notez qu’il ne l’a pas seulement par accidents et pour l’effet ; il en a en lui le foyer. À entendre ce dominicain de nos jours, on croirait parfois retrouver le poëte qui a dit de la patrie :

J’ai des chants pour toutes ses gloires,
Des larmes pour tous ses malheurs.


Ce n’est pas à nous de discuter ici ce sentiment, et de voir s’il n’introduit pas dans la parole sacrée, au milieu de beaucoup d’émotion et d’éclat, quelque prestige. Mais, assurément, si un tel sentiment avait quelque part sa place légitime, et si l’orateur a eu droit d’en user, ce dut être dans l’Éloge du général Drouot, ce lieutenant fidèle, homme rare et simple, tout patriotique, qui représentait la probité dans les camps, que Napoléon appelait le Sage de la grande Armée, et qui, au sortir des grandes batailles dont il avait dirigé les formidables batteries, ne demandait au Ciel d’autre faveur que de venir mourir sur la paroisse où il avait été baptisé. Les détails que l’orateur a donnés sur sa simple enfance, sont imprégnés d’un parfum de vertu domestique qui va au cœur. Drouot était fils d’un boulanger de Nancy, le troisième de douze enfants :

« Issu du peuple par des parents chrétiens, il vit de bonne heure, dans la maison paternelle, un spectacle qui ne lui permit de connaître ni l’envie d’un autre sort, ni le regret d’une plus haute naissance ; il y vit l’ordre, la paix, le contentement, une bonté qui savait partager avec de plus pauvres, une foi qui, en rapportant tout à Dieu, élevait tout jusqu’à lui, la simplicité, la générosité, la noblesse de l’âme, et il apprit, de la joie qu’il goûta lui-même au sein d’une position estimée si vulgaire, que tout devient bon pour l’homme quand il demande sa vie au travail et sa grandeur à la religion. Jamais le souvenir de ces premiers temps de son âge ne s’effaça de la pensée du général Drouot ; dans la glorieuse fumée des batailles, aux côtés mêmes de l’homme qui tenait toute l’Europe attentive, il revenait par une vue du cœur et un senti-