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mais déjà un peu prolixe et un peu molle éloquence, est celui des deux qui plaît aujourd’hui le plus à la lecture. C’est Bourdaloue pourtant qui, par les justes proportions, par la beauté de l’ordonnance et l’exactitude des développements, représente la perfection moyenne et complète de ce genre grave à son plus beau moment. Mais aujourd’hui, quand on lit Bourdaloue (s’il faut être sincère), avec toutes ses qualités saines, solides, mais que ne relèvent en rien l’invention du détail et la fleur de l’expression, il ennuie. On a dit de Bourdaloue que c’est Nicole éloquent. Je dirai aussi : C’est le Despréaux de la chaire ; mais un Despréaux en prose, et dont les qualités essentielles et rassises, séparées de l’accent et de l’action, n’ont conservé aucune vivacité, aucune fraîcheur. Cependant, quand on prend la peine de l’étudier, on y retrouve les plus sérieux mérites. Ce qui manque à l’éloquence de l’abbé Lacordaire, c’est précisément ce que celle de Bourdaloue a de trop. Il n’y a pas du tout de Bourdaloue en lui, c’est-à-dire de cette suite égale, modérée, toujours satisfaisante à la réflexion, toute judicieuse (le dogme une fois admis). Mais j’ai dit que Bourdaloue aujourd’hui relu, ennuie ; et lui, il enlève, il étonne, il conquiert, ou du moins il porte des coups dont on se souvient. Il a du clairon dans la voix, et l’éclair du glaive brille dans sa parole. Il possède l’éloquence militante appropriée à des générations qui ont eu Chateaubriand pour catéchiste et qu’a évangélisées Jocelyn après René.

L’abbé Lacordaire réussissait depuis deux années à Notre-Dame, lorsqu’il prit un parti qui dut sembler singulier et extrême à ses amis, même les plus religieux : il quitta brusquement cette position toute faite et s’en alla à Rome pour y étudier, disait-on, mais en réalité pour s’y préparer à prendre l’habit de dominicain, et