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ne nous montrons pas plus rigoureux que Celui qui a dit : Quiconque n’est pas contre vous est pour vous. » Grâce à ce ton de facilité généreuse et de franchise, il a su conquérir, sur son auditoire de jeunes gens, une autorité de faveur et de sympathie ; il a pu leur donner des conseils moraux sur les sujets les plus délicats : il a fait sur la chasteté, par exemple, des Conférences qui sembleraient d’une étrange audace, si cette audace n’était revêtue d’autant de candeur et servie d’un aussi prodigieux talent. Avec lui on est souvent dans le hasard, dans le péril de l’expression ; mais on se rassure bientôt, quand on s’y est accoutumé. On sent si bien une puissance qui, du haut de cette chaire, est dans la sincérité de sa direction et dans la plénitude de sa nature, une parole qui a cru entendre son mot d’ordre d’en haut : « N’interrogez pas le cours des fleuves ni la direction des montagnes, allez tout droit devant vous ; allez comme va la foudre de Celui qui vous envoie, comme allait la parole créatrice qui porta la vie dans le chaos, comme vont les aigles et les anges. » Il va donc et nous emporte mainte fois sur les crêtes et sur les cimes ; on frémit, mais il ne tombe pas. Quelquefois lui-même il s’arrête comme étonné devant les témérités de sa parole ; mais il la reprend, la répare aussitôt, ou seulement il la redouble, il l’explique ; car rien, chez lui, n’est sorti que d’un cœur net, d’une lèvre ardente et pure.

Trois grands noms de prédicateurs sont l’honneur de la chaire française : Bossuet, Bourdaloue et Massillon. Les Sermons de Bossuet ne sont appréciés que depuis qu’on les a imprimés, et, de son vivant, ils étaient comme perdus dans le reste de sa gloire. Bourdaloue et Massillon furent de leur temps les maîtres de la chaire dans le genre du sermon. Massillon, dont chacun connaît les riches développements, la savante, l’ingénieuse