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premières circonstances ; car il n’est pas indifférent, selon moi, même pour les futures convictions et croyances, d’être sorti d’une race solide et saine, d’une race intègre et pure. Quand, sur un fonds d’organisation héréditaire aussi ferme et aussi nettement tracé, un talent singulier vient à se poser et à éclore, quand un grand don de gloire vient à éclater, quand l’éloquence, par exemple, la parole de feu descend, elle trouve de quoi la porter et l’encadrer : c’est comme l’encens qui d’avance a son autel, c’est comme l’holocauste qui s’allume sur le rocher.

Le jeune Henri Lacordaire fit ses études au lycée de Dijon, de 1810 à 1819. Dans cette patrie de Bossuet, en vue de la colline où naquit saint Bernard, il ne songeait pas encore qu’il aurait un jour affaire à ces grands noms, et qu’il briguerait son rang dans leur descendance. Seulement, sans se donner trop de peine, il remportait tous les prix à la fin de l’année ; il avait sa tragédie sur le chantier, comme tout bon rhétoricien ; il jouait des scènes d'Iphigénie avec un de ses camarades, aujourd’hui professeur de droit à Dijon, tous deux (l’Achille et l’Agamemnon) habillés en fantassins de ligne, et y allant bon jeu, bon argent. Le sentiment patriotique était très-vif en lui ; il souffrait douloureusement des blessures de la France et des désastres qui marquèrent la chute de l’Empire. Devenu étudiant en droit, toujours à Dijon, il commença à se distinguer par un talent réel de parole dans des conférences qu’avaient établies entre eux les étudiants et de jeunes avocats. Il mêlait à tout cela des vers, quelques-uns même, dit-on, assez plaisants.

Son droit fini, il vint faire à Paris son stage, vers 1822. Il commençait à plaider, et avec succès. Mais, bien qu’il domptât cette matière ingrate, elle ne le satisfaisait pas. Sa parole s’y exerçait et y faisait sa gymnastique ; mais