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talent. J’essaierai de marquer ici quelques traits de sa manière.

J’ai eu l’honneur de connaître beaucoup autrefois l’abbé Lacordaire ; je ne l’ai jamais revu ni entendu depuis sans être touché de sa parole, sans être pénétré de son accent. Je voudrais aujourd’hui concilier tout ce que je dois à ces souvenirs et aux sentiments de respect que je lui ai voués, avec l’indépendance du critique, — au moins du critique littéraire ; car ici, en parlant de ces hommes qu’il y aurait lieu d’étudier sous tant d’autres aspects, je ne suis et ne veux être que cela.

Il existe sur M. Lacordaire une notice exacte et très-bien faite, écrite par un de ses amis d’enfance, M. Lorain ; je n’ai pas l’intention d’y ajouter ni d’y suppléer. Je dirai seulement qu’il est né en mai 1802, au bourg de Recey-sur-Ource (Côte-d’Or), à cinq lieues de Châtillon-sur-Seine. Son père, médecin, était venu se fixer là, après avoir fait une campagne dans la guerre d’Amérique sous Rochambeau ; homme de bien et d’honneur, il a laissé dans le pays des souvenirs que quarante années écoulées depuis ont à peine effacés. Sa mère, de famille dijonnaise, fille d’un greffier au parlement de Bourgogne, était de ces personnes fortes et simples qui suffisent à tous les devoirs. Elle eut quatre fils, et perdit son mari étant enceinte du quatrième. Ces quatre fils vivent. Le plus jeune est capitaine de cavalerie, un autre architecte et ingénieur. L’aîné, dont on a lu des écrits dans la Revue des Deux Mondes, est, depuis plusieurs années, professeur d’histoire naturelle à l’université de Liège ; il a voyagé quatre fois dans l’Amérique du Sud, et compte en première ligne parmi les entomologistes les plus distingués de notre temps, esprit net, investigateur patient, observateur précis et sévère. Le second des quatre fils était le futur dominicain. Je n’ai pas voulu omettre ces