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donne, à la place, tout autant d’estime et d’admiration qu’il me paraît qu’ils en méritent. Et quand ils m’honorent de quelques bontés, vous sentez bien ce que la reconnaissance peut ajouter à de tels sentiments, et assurément je ne fus jamais ingrate… »

En même temps qu’elle désire l’amitié, elle en redoute un peu les enthousiasmes ; elle craint toujours qu’un autre sentiment ne se glisse dessous, et elle en parle d’un ton à persuader sérieusement qu’elle en veut rester au premier :

« Je suis, dit-elle, d’un sexe et d’une profession où l’on ne soupçonne pas volontiers cet honnête sentiment, l’unique que je désire, dont je sois flattée, et dont j’ose me croire digne par la façon dont je le sens ; j’ajoute même par celle dont je l’ai inspiré plus d’une fois. »

Quoique d’un âge où il ne tient qu’aux femmes de paraître encore jeunes, elle ne craint pas de parler des années qui approchent et de ce qu’elles amènent de moins gracieux avec elles, des soins, des devoirs auxquels, dans dix ans, on sera obligé auprès d’une vieille amie. Elle veut qu’on se propose tout cela à l’avance, qu’on s’y accoutume en idée, et elle est la première à vous y convier avec franchise : « Allons rondement, dit-elle, vers l’amitié. » Un grand préservatif qu’elle a contre toute nouvelle faiblesse, c’est qu’au fond elle aime, c’est que son cœur est rempli, c’est qu’elle tremble pour un absent qui court des dangers, c’est qu’elle attend avec impatience un retour :

« Une personne attendue depuis très-longtemps, écrivait-elle le 23 octobre 1728, arrive enfin ce soir, selon les apparences, en assez bonne santé. Un courrier vient de devancer, parce que la berline est cassée à trente lieues. On a fait partir une chaise, et, ce soir, on sera ici. »

Il n’est pas difficile d’imaginer quelle était cette per-