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née à Strasbourg, fille de M. de Klinglin, qui était dès lors ou qui devint premier magistrat et, comme on disait, préteur de cette cité ; il est question plus d’une fois de cette fille de Monime dans les lettres de Voltaire. Une autre fille naquit à Paris, et fut baptisée à Saint-Eustache le 3 septembre 1710, comme fille de Philippe Le Roy, officier de monseigneur le duc de Lorraine, et d’Adrienne Le Couvreur ; elle épousa, en novembre 1730, Francœur, musicien de l’Opéra. Le savant mathématicien, mort depuis peu, était de cette famille. Mais la grande passion de Mlle Le Couvreur, celle qui mit fin aux hasards de sa première vie, ce fut son amour pour le comte de Saxe, lequel vint pour la première fois en France en 1720, et s’y fixa en 1722, sauf les fréquentes excursions et les aventures. À partir du moment où elle l’aima, et malgré les infidélités dont il ne se faisait pas faute, il paraît bien que Mlle Le Couvreur ne se considéra plus comme libre. Passionnément aimée du jeune d’Argental, elle faisait tout pour le guérir ; elle ne s’y prenait pas avec ces demi-façons qui ne sont propres qu’à exciter et à attiser ce qu’on a l’air de combattre ; elle avait le procédé net, loyal, sans arrière-pensée, celui d’un honnête homme. Elle lui écrivait :

« Enfin, vous voulez que l’on vous écrire, contre toutes sortes de raisons. Se peut-il qu’avec tant d’esprit, vous soyez si peu maître de vous ? Que vous en reviendra-t-il, que le plaisir de m’exposer à des tracasseries désagréables, pour ne pas dire pis ? Je suis honteuse de vous quereller quand vous me faites tant de pitié ; mais vous m’y contraignez. Soyez, je vous prie, plus raisonnable, et dites à celui que vous chargez de me tourmenter qu’il me permette un peu de respirer : à peine, depuis quatre jours, m’en a-t-il laissé le temps. Je vous ferai voir bien clairement les inconvénients de cette conduite la première fois que le hasard pourra nous réunir, et je ne suis pas embarrassée de vous faire convenir que vous avez tort.

« Adieu, malheureux enfant. Vous me mettez au désespoir. »