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beaux. « Elle n’avait pas beaucoup de tons dans la voix, mais elle savait les varier à l’infini, et y joindre des inflexions, quelques éclats, et je ne sais quoi d’expressif dans l’air du visage et dans toute sa personne, qui ne laissait rien à désirer. » Elle excellait dans les gradations, dans ces passages subits d’un ton à un autre qui expriment les vicissitudes de la passion. On a retenu des endroits de ses rôles de Bérénice, d’Élisabeth, d’Électre, où elle enlevait ainsi les cœurs par ces contrastes ménagés et attendrissants. On n’avait jamais si bien entendu l’art des scènes muettes, l’art de bien écouter et de jouer encore de toute sa personne et de son attitude expressive, tandis qu’un autre parlait. Il ne paraît pas que, hors de la scène, elle eût des beautés bien frappantes et bien extraordinaires ; mais elle en avait l’ajustement naturel, l’ensemble et l’harmonie. On connaît son portrait par Coypel, qui l’a peinte en grand appareil de deuil, tenant son urne de Cornélie. Le Mercure nous la montre plus au naturel, « parfaitement bien faite dans sa taille médiocre, avec un maintien noble et assuré, la tête et les épaules bien placées, les yeux pleins de feu, la bouche belle, le nez un peu aquilin, et beaucoup d’agrément dans l’air et les manières ; sans embonpoint, mais les joues assez pleines, avec des traits bien marqués pour exprimer la tristesse, la joie, la tendresse, la terreur et la pitié. » Beaucoup d’âme, beaucoup d’entrailles, une constante étude, un amour passionné pour son art, tout contribua à composer en elle cet idéal de grande tragédienne qui, jusque-là, ne paraît pas avoir été réalisé à ce degré. Mlle  Duclos n’était qu’un représentant de l’école déclamatoire ; et si Mlle  Desmares et la Champmeslé avaient eu de grandes et belles parties, elles n’avaient certainement pas atteint à la perfection d’ensemble d’Adrienne Le Couvreur. Lorsque celle-ci