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où les grandes comédiennes finissent. Elle avait plus de vingt-cinq ans alors, et elle occupa la scène treize années.

Dans un art qui laisse aussi peu de traces, il est difficile, quand on juge à distance, de faire autre chose que de rapporter les témoignages des contemporains, et l’on n’a presque aucun moyen de les contrôler. Ici les louanges sont unanimes et s’accordent toutes dans le même sens. « On lui donne la gloire, dit le Mercure (mars 1730), d’avoir introduit la déclamation simple, noble et naturelle, et d’en avoir banni le chant. » Elle rechercha plus d’exactitude et de vérité dans les costumes ; elle fut la première, par exemple, à mettre en usage les robes de cour dans les rôles de reine et de princesse. Elle fit cette innovation en jouant la reine Élisabeth dans le Comte d’Essex. En prenant le costume de reine, elle en prenait aussi le ton, c’est-à-dire qu’elle y parlait au naturel, sans faste, sans se croire obligée, comme faisaient les autres, de racheter par une solennité de commande ce qui avait manqué jusque-là dans le costume. Il semblait voir une princesse qui jouait la comédie pour son plaisir. Elle jouait aussi dans le comique proprement dit, mais avec moins d’étendue et de ressources, et elle n’y brillait que dans un petit nombre de rôles. Son domaine propre, sa gloire incomparable était dans le pathétique. « Elle avait l’art de se pénétrer au degré qu’il fallait pour exprimer les grandes passions et les faire sentir dans toute leur force. » On a dit de Mlle  Champmeslé qu’elle avait la voix des plus sonores, et que lorsqu’elle déclamait, si l’on avait ouvert la loge du fond de la salle, sa voix aurait été entendue dans le café Procope. Je doute qu’il en eût été ainsi de Mlle  Le Couvreur, mais sa voix s’insinuait avec justesse, avec finesse : elle soutenait même les vers faibles et donnait toute leur valeur aux plus