Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en 1702, sa famille à Paris, et vint loger dans le faubourg Saint-Germain, non loin de la Comédie. Ce voisinage offrit à la jeune enfant l’occasion de fortifier une passion pour le théâtre qui était née avec elle. « Plusieurs des bourgeois de Fismes, raconte l’abbé d’Allainval, qu’on ne saurait que répéter sur ces commencements, m’ont dit que, dès son enfance, elle se plaisait à réciter des vers, et qu’ils l’attiraient souvent dans leurs maisons pour l’entendre. La demoiselle Le Couvreur était de ces personnes extraordinaires qui se créent elles-mêmes. » À l’âge de quinze ans, elle s’entendit avec quelques jeunes gens du voisinage pour représenter Polyeucte et la petite comédie du Deuil (de Thomas Corneille). Les répétitions se firent chez un épicier de la rue Férou. On en parla dans le quartier. Adrienne jouait Pauline, et n’était pas trop mal secondée par ses camarades ; il y avait un Sévère qui se distinguait par la vérité de son jeu. La présidente Le Jay prêta à cette petite troupe son hôtel, rue Garancière ; le beau monde y accourut ; on dit que la porte, gardée par huit suisses, fut forcée par la foule. Mais la tragédie s’achevait à peine, que les gens de police entrèrent et firent défense de passer outre. La petite pièce ne fut pas donnée. Ainsi finirent ces représentations sans privilège. Adrienne joua quelque temps encore dans l’enceinte du Temple, sous la protection du grand-prieur de Vendôme ; puis on sait qu’elle reçut des leçons du comédien Le Grand, et on la perd de vue. Elle va faire ses caravanes en province et aux pays limitrophes, sur les théâtres de Lorraine et d’Alsace. Elle dut revenir plus d’une fois à Paris dans les intervalles, mais elle n’y reparut, pour y débuter, qu’au printemps de 1717, dans les rôles de Monime et d’Électre, et elle s’y montra du premier jour une actrice accomplie. On disait tout haut qu’elle commençait par