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chapitre dont je parle est à lire immédiatement avant celui du Concordat, et il en est désormais inséparable.

À un endroit, Napoléon compare ce qu’il a fait aussitôt après son débarquement en Égypte avec ce qu’y fit saint Louis. Il ne parle que des fautes militaires de ce saint roi : « Il passa huit mois à prier, lorsqu’il eût fallu les passer à marcher, combattre et s’établir dans le pays. » On ne peut s’empêcher de sourire. Toutes les autres différences que Napoléon ne dit pas éclatent à la pensée. On se souvient des récits du naïf Joinville, si peu semblable aux Monge et aux Berthollet. Mais saint Louis eut besoin de tous ses malheurs pour être grand, et c’est dans l’ordre des choses du cœur qu’il a sa couronne.

L’Égypte, si belle qu’il l’eût jugée d’abord, ne pouvait être pour Napoléon qu’un moyen et non un but. Il essaya d’en sortir, et de s’ouvrir la grande route d’Orient par la Syrie. Le plan et l’idée de cette campagne sont retracés avec une précision qui ne laisse aucun doute sur les projets, alors très-réels, de Napoléon du côté de l’Inde. En attendant, on côtoie avec lui les monts de Judée. Son génie en embrasse avec grandeur les horizons. Napoléon, au Caire, avait lu le Coran ; une fois en Palestine, il ouvre la Bible : « En campant sur les ruines de ces anciennes villes, on lisait tous les soirs l’Écriture sainte à haute voix, sous la tente du général en chef. L’analogie et la vérité des descriptions étaient frappantes ; elles conviennent encore à ce pays, après tant de siècles et de vicissitudes. » Il y eut là un moment où cette grande destinée faillit se détourner à jamais ; une victoire de plus pouvait la faire verser du côté de l’Asie. Il fallut un échec pour nous la rendre. Du moment qu’arrêté à Saint-Jean-d’Acre, Napoléon se vit refoulé dans sa première conquête, il s’y sentit à l’étroit.