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qu’à les dissiper. Or, une armée, même en déroute, qui se disperse dans un pays ami, a de quoi se reformer vite à l’état de bandes. Ce récit d’opérations, presque toujours intéressant à suivre, et où le général Gouvion-Saint-Cyr a son épisode à part pour sa belle campagne de Catalogne, est entremêlé et relevé de pages très-spirituelles sur la royauté de Joseph et son entourage. On y voit le maréchal Jourdan tout fait à la mesure de ce roi dont il est le Berthier, Jourdan, sage, tranquille et médiocre, s’écriant du fond du cœur, dans une lettre au général Belliard : « Ah ! mon cher général, si vous pouviez coopérer à me sortir de la maudite galère où je suis, vous me rendriez un grand service ! Combien je me trouverais heureux d’aller planter mes choux, si toutefois les choses doivent rester dans l’état où elles sont ! » Voilà pourtant où mène trop de philosophie quand on fait le métier des héros. Quant à Joseph, il ne renoncerait pas si aisément à son métier de roi, et il n’est nullement d’humeur à aller planter ses choux ; il se croit très-propre à régner, mais il le voudrait faire à son aise, sur un trône à lui, comme un bon roi Louis XII sous le dais, comme s’il était l’héritier d’une longue race. Napoléon, par des lettres vigoureuses, où il concentre les hautes maximes de sa politique, essaie de remonter cette âme débonnaire et médiocrement royale de son frère, et de lui inoculer ce qui ne s’apprend pas. Tout ce contraste est touché par M. Thiers avec beaucoup de finesse. On arrive enfin à Saragosse, à ce siège unique, effroyable, qu’on est bien forcé d’admirer au milieu de l’horreur, et qui restera comme le plus fameux exemple de la résistance patriotique en face d’une invasion étrangère :

« Rien dans l’histoire moderne, dit M. Thiers, n’avait ressemblé à ce siège, et il fallait, dans l’antiquité, remonter à deux ou trois