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Dupont : qu’il me pardonne de me souvenir de sa conversation, mais ceux qui l’entendent ne l’oublient pas aisément, et, le dirai-je ? sa parole complète à merveille son style. Il ose, en causant, bien des choses que son goût scrupuleux croit devoir se retrancher dans l’histoire. Je ne l’en blâme pas, mais je profite des deux sources. « L’injustice, disait-il un jour avec énergie, est une mère qui n’est jamais stérile, et qui produit des enfants dignes d’elle. » Et il citait Moreau qui, cruellement banni, en 1804, pour un tort envers le Consul plus encore qu’envers la France, revient en 1813 enfant ingrat. Il citait Dupont qui, durement puni pour son malheur à Baylen, devient ministre en 1814, et alors bien véritablement coupable, et qui se venge.

Le livre intitulé Baylen se termine par le récit d’une autre capitulation fâcheuse, mais qui, du moins, n’eut rien que d’honorable, celle de Junot et de son armée en Portugal. Les troupes anglaises, en effet, venaient de débarquer en ce pays. Ce n’était encore qu’un premier essai, une première atteinte, et elles auront à revenir à la charge avant de prendre pied dans la Péninsule pour n’en plus sortir que par la frontière de France. Pourtant le signal est donné : sir Arthur Wellesley, celui qui sera le duc de Wellington, avec ce bon sens tenace contre qui se brisera le génie, apparaît et se dessine pour la première fois. Les qualités des deux armées, l’esprit militaire des deux peuples, sont en présence, et M. Thiers les a caractérisés dans une de ces pages comme il sait en écrire en tel sujet :

« C’était, dit-il en parlant du corps de Wellington, de la très-belle infanterie, ayant toutes les qualités de l’armée anglaise. Cette armée, comme on le sait, est formée d’hommes de toute sorte, engagés volontairement dans ses rangs, servant toute leur vie ou à peu près, assujettis à une discipline redoutable qui les bâtonne