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subir nos vaillantes armées, la capitulation, en rase campagne, du général Dupont à Baylen. À dater de ce jour, la Fortune commence à tourner ; elle aura de brillants retours encore, mais le prestige est évanoui.

Sur ce point capital de son histoire, comme sur tant d’autres, M. Thiers, en possession de documents uniques, a porté une lumière d’évidence qu’on ne soupçonnait pas auparavant et qui est définitive. Le général Dupont, l’un des plus brillants officiers de la grande armée, le même qui, dans la campagne de 1805, à Haslach, animé d’une inspiration digne d’un vrai capitaine, avait su défaire 25,000 Autrichiens avec 6,000 hommes, et que Napoléon destinait à devenir un de ses prochains maréchaux ; Dupont, lancé en flèche dans l’Andalousie révoltée, est bientôt obligé de se rabattre et de songer à une retraite. Mais il y songe trop tard ; il se tient trop longtemps immobile dans une position peu sûre ; il choisit mal ses points en arrière, et ne serre pas d’assez près les défilés de la Sierra-Morena par où il doit repasser. Il laisse le temps à l’ennemi de le tâter et de sentir le côté faible par où le fer, en appuyant, pourrait entrer. Enfin, dans sa marche tardive, il est embarrassé par ses malades, peu servi par ses jeunes soldats que l’ardeur du climat dévore, mal secondé surtout par ses lieutenants, par le général Védel, qui fait là, en diminutif, ce que Grouchy fera un jour à Waterloo. Bref, de faute en faute, dont quelques-unes sont à lui, dont les autres sont à son lieutenant, et dont la première remonte à Napoléon lui-même, il est amené à signer cette capitulation humiliante à laquelle est resté attaché son nom. M. Thiers a raconté, discuté et rendu sensible toute cette affaire de Baylen, de manière à ne laisser aucun doute sur les vraies causes, à attribuer à chacun ses fautes, et à ne charger la mémoire du général Du-