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M. de Chateaubriand y régnait, et, quand il était présent, tout se rapportait à lui ; mais il n’y était pas toujours, et même alors il y avait des places, des degrés, des à-parte pour chacun. On y causait de toutes choses, mais comme en confidence et un peu moins haut qu’ailleurs. Tout le monde, ou du moins bien du monde allait dans ce salon, et il n’avait rien de banal ; on y respirait, en entrant, un air de discrétion et de mystère. La bienveillance, mais une bienveillance sentie et nuancée, je ne sais quoi de particulier qui s’adressait à chacun, mettait aussitôt à l’aise, et tempérait le premier effet de l’initiation dans ce qui semblait tant soit peu un sanctuaire. On y trouvait de la distinction et de la familiarité, ou du moins du naturel, une grande facilité dans le choix des sujets, ce qui est très-important pour le jeu de l’entretien, une promptitude à entrer dans ce qu’on disait, qui n’était pas seulement de complaisance et de bonne grâce, mais qui témoignait d’un intérêt plus vrai. Le regard rencontrait d’abord un sourire qui disait si bien : Je comprends, et qui éclairait tout avec douceur. On n’en sortait pas même une première fois sans avoir été touché à un endroit singulier de l’esprit et du cœur, qui faisait qu’on était flatté et surtout reconnaissant. Il y eut bien des salons distingués au xviiie siècle, ceux de Mme  Geoffrin, de Mme  d’Houdetot, de Mme  Suard. Mme  Récamier les connaissait tous et en parlait très-bien ; celui qui aurait voulu en écrire avec goût aurait