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sont plus frivoles que cela. Le héros des Mémoires est le chevalier, depuis comte de Grammont, l’homme le plus à la mode de son temps, l’idéal du courtisan français à une époque où la Cour était tout, le type de ce personnage léger, brillant, souple, alerte, infatigable, réparant toutes les fautes et les folies par un coup d’épée ou par un bon mot : notre siècle en a vu encore de beaux restes dans le vicomte Alexandre de Ségur et le comte Louis de Narbonne. Le propre de cette race légère était de ne se démentir jamais. Grammont, dangereusement malade, et pressé de se convertir par Dangeau, que lui avait envoyé le roi, se retourne vers sa femme, fort dévote elle-même : « Comtesse, dit-il, si vous n’y prenez garde, voilà Dangeau qui va vous escamoter ma conversion. » Ce qui n’empêcha pas, en fin de compte, la conversion d’être suffisamment sincère. Ce sont de ces traits qui peignent au naturel une race fine, mais fortement trempée. Et ne fut-elle pas dignement représentée dans la campagne de Russie par M. de Narbonne ?

Mais peu nous importe Grammont en lui-même. Pour être le héros du récit d’Hamilton, il n’en est bien souvent que le prétexte. C’est la manière de le montrer qui en fait tout le charme. Les envieux (et Bussy l’était), tout en reconnaissant au comte de Grammont l’esprit galant et délicat, ajoutaient que « ses mines et son accent faisaient bien souvent valoir ce qu’il disait, qui devenait rien dans la bouche d’un autre. » Hamilton a mis bon ordre au pronostic de Bussy, et il a rendu à Grammont tout son accent, si même il ne lui a point prêté. Rien n’égale cette façon de dire et de conter, facile, heureuse, unissant le familier au rare, d’une raillerie perpétuelle et presque insensible, d’une ironie qui glisse et n’insiste pas, d’une médisance achevée. Il dit