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l’esprit français à cette date : Quels que soient leurs ornements, dit-il,

Dans un récit de longue haleine
Les vers sont toujours ennuyants.


Il aime Horace, mais il n’a pas l’air de savoir ce que c’est que Milton. Shakspeare est pour lui comme s’il n’était pas. Seulement, il semble que l’aimable lutin Ariel se soit déguisé pour le surprendre, et que, sans se nommer, il se soit glissé dans sa prose.

Ses Contes auraient quelque chose peut-être de cette fantaisie d’Ariel, s’ils étaient plus clairs. Il les a faits par gageure de société pour divertir sa sœur, la comtesse de Grammont, et par émulation des Mille et une Nuits qui paraissaient alors (1704-1708) ; ils sont remplis d’allusions qui échappent[1]. À travers tout, on y sent du naturel et du piquant. Le duc de Lévis, qui a cru les continuer, n’a été qu’insipide. Si j’en voulais donner une idée par quelque production moderne, je renverrais à la jolie fantaisie du Merle blanc, d’Alfred de Musset.

Mais les Mémoires de Grammont, voilà ce qui reste, et ce que la fée a touché de toute sa grâce. La manière en semble faite exprès pour expliquer le mot de Voltaire :

La grâce en s’exprimant vaut mieux que ce qu’on dit.


Le fond en est mince, non pas précisément frivole, comme on l’a dit ; il n’est pas plus frivole (pour être si léger) que tout ce qui a pour matière la comédie humaine. Il y a de gros traités qui n’en ont pas l’air et qui

  1. Pour l’explication du conte du Bélier, par exemple, il faut lire les Mémoires de Saint-Simon, tome IV, pages 11-13 (1829).