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Quelle indignité que le luxe et la vanité des religieux dans leurs vêtements. parcourir les provinces, fréquenter les cours, cultiver la connaissance des rois et rechercher l’amitié des grands. Mais que dirai-je de l’habit religieux lui-même ? Ce n’est plus la chaleur mais la couleur qu’on recherche avant tout en eux, et on se met plus en peine de les soigner que d’acquérir des vertus. J’ai honte d’en convenir, mais les femmelettes avec leur amour pour la toilette sont dépassées par ces moines qui ne font cas d’un vêtement qu’à cause de sa valeur, non de son utilité. Laissant de côté toute pensée religieuse, ces soldats du Christ ne voient qu’une parure, non une armure dans l’habit qu’ils portent, au lieu de se préparer à la lutte et d’opposer aux puissances de l’air les insignes de la pauvreté, dont la vue remplit leurs ennemis de frayeur, aiment mieux leur offrir dans leur mise raffinée, les apparences de la paix, et s’exposer sans force et sans vigueur à leurs coups. Tous ces maux ne viennent que de ce que, renonçant à ces sentiments d’humilité qui nous ont fait quitter le monde, et nous trouvant ainsi ramenés aux goûts du siècle, nous devenons semblables aux chiens de l’écriture qui retournent à leur vomissement.

11. Qui que nous soyons qui nous trouvons dans ces dispositions, remarquons quelle fut la réponse de celle qui fut choisie pour être la mère de Dieu, mais qui était assez humble pour ne s’en point souvenir. « Voici, dit-elle, la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole. » Ce mot « qu’il me soit fait : » exprime dans sa bouche un désir, non un doute. De même que ceux-ci « qu’il me soit fait selon votre parole, » expriment bien plutôt les vœux de son cœur que les recherches d’un esprit incertain. Rien n’empêche il est vrai qu’on ne voie dans ces mots, « qu’il me soit fait, » l’expression d’une prière. En effet Dieu veut être prié même pour les choses qu’il est disposé à accorder ! personne ne demande que ce qu’il croit exister et qu’il espère obtenir, et Dieu veut qu’on sollicite de lui dans la prière les choses mêmes qu’il a promises. Peut-être même, ne nous promet-il une foule de choses qu’il a résolu de nous donner, que pour exciter notre piété par ses promesses, et nous engager à mériter par la prière et la piété, ce qu’il est disposé à nous accorder gratuitement. Voilà comment le Dieu bon qui veut que tous les hommes soient sauvés, nous force à mériter ses grâces, et comment, en même temps qu’il nous prévient en nous accordant ce qu’il doit récompenser en nous, il agit gratuitement pour ne nous point accorder ses bienfaits gratuitement. C’est ce que la Vierge prudente a compris quand, prévenue par la grâce d’une promesse gratuite, elle voulut du moins avoir le mérite de la prière, et dit : « Qu’il me soit fait selon votre parole. » C’est-à-dire qu’il me soit fait au sujet du Verbe, selon ce que vous m’avez dit. Que le Verbe, qui au commencement était en Dieu, se fasse chair de ma chair, selon votre parole ! Oui, je le demande à Dieu, que le Verbe soit fait, non ce verbe qu’on prononce, qui frappe l’air et qui passe, mais un Verbe conçu, fait chair et qui demeure. Qu’il me soit fait un verbe non-seulement sensible à l’ouïe, mais un Verbe que mes yeux puissent voir, mes mains toucher et mes bras porter. Que ce ne soit pas un verbe simplement écrit et mort, mais incarné et vivant, c’est-à-dire, que ce ne soit pas un verbe tracé par des signes muets sur des peaux mortes, mais un Verbe à forme humaine et véritablement imprimé dans mes chastes entrailles, gravé non par la pointe