Page:Saint-Amant - Œuvres complètes, Livet, 1855, volume 1.djvu/68

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Et vos attraits sans pair flestris et desolez
Par l’avare desir d’un infame libraire,
Qui, mus l’espoir du gain, pour chanter me fait braire,
J’avoue, en la douleur de ma tendre amitié,
Que j’ay de vostre estat une extresme pitié,
Ou plustost qu’en tel poinct j’ay peine à reconnaistre,
Vous voyant si changez, que je vous ay fait naistre.
VoÔ grand, ô rare duc, qui, prenant leur party,
M’avez de leur désastre aussi tost averty,
Vistes-vous sans regret l’honneur de mon estude,
Mon noble coup d’essay, ma chère Solitude,
Ainsi défigurée en ses traits les plus beaux,
Trotter comme une gueuse en de sales lambeaux,
Elle que l’univers a veue avec extase
N’aller jamais qu’en pompe à cheval sur Pégase ?
Non, je croy que son sort toucha vos sentiments,
Que le cœur vous saigna de voir ses ornements,
Confondus en maints lieux, à la honte des Muses,
Avoir en leurs deffauts besoin de vos excuses,
Et que, si vous teniez le maraut d’imprimeur
Qui resveille en mes sens la bilieuse humeur,
Vous luy feriez dancer, à l’ombre d’une eschelle,
Le bransle qu’on prépara aux gens de la Rochelle.
Pour moy, je luy promets que sur son hocqueton
Mon bras fera pleuvoir tant de coups de baston,
Qu’il croira que du ciel, qu’à sa perte j’oblige,
Il pleuvra des cottrets, par un nouveau prodige.
Il Ha ! je m’apperçois bien que, malgré ma raison,
Qui vouloit que mes vers gardassent la maison,
Sans se prostituer aux yeux du populaire,
Il faudra qu’à la fin je me force à luy plaire ;
Que de mon cabinet je les fasse partir,
Que j’endure la presse aussi bien qu’un martir,
Qu’on barbouille mon nom, qu’on m’imprime sans boire,
Si ce n’estoit du jus de l’encre la plus noire ;