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ceux qui, produisant beaucoup, font regner l’ordre au milieu des belles matieres, sont comme ces grands fleuves qui portent la fertilité dans les campagnes et l’abondance dans les villes. Nostre amy se peut vanter d’estre de ceux-là et d’avoir toutes les grandes qualitez requises a un vray poëte. Ses inventions sont hardies et agreables ; ses pensées sont hautes et claires ; son elocution est nette et vigoureuse, et, jusques au son et à la cadence de ses vers, il se trouve une harmonie qui peut passer pour sœur legitime de celle de son luth. Lors qu’il descrit, il imprime dans l’ame des images plus parfaites que ne font les objects mesmes. Il fait tousjours remarquer quelque nouveauté dans les choses qu’on a veues mille fois, et ce qui est particulierement à considerer en luy, c’est qu’il n’achève jamais ces beaux portraits sans y donner un traict de maistre, et sans y laisser un éguillon a la fin qui chatouille l’esprit long-temps après qu’il en a esté picqué. Lors qu’il veut estre serieux, il semble qu’il n’ait jamais hanté que des philosophes, et, quand il veut relascher son style dans la liberté d’une honneste raillerie, il n’est point d’humeur si stupide qu’il ne resveille, ny si severe dont il ne dissipe le chagrin et à qui il n’inspire des subtils sentimens de joye. Son esprit paroist sous toutes les formes, et c’est une chose admirable, et qui ne s’est peut-estre jamais veue, qu’une mesme personne ait pû en un eminent degré reussir egalement en deux façons d’escrire qui sont d’une nature si differente et qui semblent estre opposées. Et certes, qui peut voir ceste belle Solitude, à qui toute la France a donné sa voix, sans estre tenté d’aller resver dans les deserts ? et si tous ceux qui l’ont admirée s’estoient laissé aller aux premiers mouvemens qu’ils ont eus en la lisant, la Solitude mesme n’auroit-elle pas esté destruicte par sa propre louange, et ne seroit-elle pas aujourd’hui plus frequentée que les villes ? Ce divin Contemplateur, qui ne peut estre assez dignement loué que par celuy mesme qu’il loue, je veux dire par ce grand et sainct prelat à qui il est dedié, n’est-ce pas mesme une sublime leçon de la plus parfaite sagesse et de la plus haute philosophie chrestienne et morale ? Quel courage assez hardy pourroit ouyr reciter ses Visions melancoliques, dont le tiltre seul a je ne sçay quoy d’effroyable, sans fremir d’horreur ? Et quelle ame assez austere pourroit lire le Palais de la Volupté sans es-