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Se represente au dommage des voiles,
Qui des enfers sautent jusqu’aux estoiles,
Lors que les vents, ces rapides demons,
Pour l’agiter grossissent leurs poulmons,
Renversent tout, gagnent de pleine en pleine,
Et ne font pas, sous leur bruyante haleine,
Transir d’effroy seulement les nochers,
Mais les vaisseaux, les flots et les rochers ;
Si qu’on diroit, aux efforts de leur rage,
Qu’avec la nef près de faire naufrage,
Et qu’en vain l’art essaye à secourir,
Le propre escueil craint mesme de perir.
Là quelquesfois, quand le paisible calme
Sans les combattre a remporté la palme,
Et que la nuict n’estale aucun flambeau,
Je voy des feux se promener sur l’eau,
Des feux rusez, qui de mainte chaloupe
Font en des fers luire au dehors la poupe
Pour attirer les poissons au trespas,
Les aveuglent d’un lumineux appas[1].
À ce beau piege, à l’embusche brillante,
Des innocens la presse fourmillante
Donne soudain dans le filet tendu,
Et leur plaisir leur est bien cher vendu.
Ainsi voit-on, aux clairs et doubles charmes
De deux soleils où l’amour prend ses armes,
Les simples cœurs s’engager dans les rets,
Et de cent morts subir les durs arrests.
Tantost, des airs prevoyant la colere,
En ce rivage aborde une galere,
Ou pour mieux dire un enfer de vivants,
Une prison qui flotte aux gré des vents.
Qui marche et vole, et rampe, et nage, et glisse,

  1. Pesche de sardines au feu, la nuit. (S.-A.)