Page:Saint-Amant - Œuvres complètes, Livet, 1855, volume 1.djvu/305

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J’ay dans la bien-seance eu maintefois l’honneur,
Sous les loix du salut qui le toucher avoue,
De succer librement les roses de sa joue,
Et par mon imprudence à descouvrir mon feu,
Par mon audace extresme à declarer le vœu.
Que sur l’autel d’Amour j’ay fait sans artifice
D’offrir à ses appas mon cœur en sacrifice,
Je me verray privé, peut-estre pour jamais,
Devoir ces beaux soleils à qui je me soubmets,
Et de qui me seroit l’absence plus cruelle
Que l’horreur d’une mort dure et perpetuelle.
Vrayment, c’est bien à moy de m’en piquer aussi !
Elle qui des dieux seuls doit estre le soucy,
Elle dont tout Paris admire les merveilles,
Elle à qui nous devons tous les fruits de nos veilles,
Elle que cent galands de suite accompagnez,
Cent amoureux discrets, jeunes et bien peignez,
Trouvent sourde à leurs vœux, oserois-je pretendre
Qu’en mon poil desjà gris elle voulût m’entendre ?
Mais c’est mal raisonner pour un amant expert :
De propos en propos mon jugement se pert.
On diroit à m’ouir qu’il depend de mon ame
De s’embrazer ou non d’une si belle flame,
Comme si de tout temps le destin souverain,
Par un arrest fatal gravé dans de l’airain,
N’avoit point resolu sur la voûte esclairante
Qu’on me verroit un jour brusler pour Amarante,
Et comme si, dans l’heur de languir en ses fers,
Où je trouve à la fois mes yeux et mes enfers,
La volonté du sort, quoy qu’enfin il m’advienne,
Ne devoit pas regler et conduire la mienne !