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Et qu’au dernier soupir ma chaste passion
Enterroit ce feu sous la discretion ;
Et cependant ma bouche, infidelle à mon ame,
Oubliant tout devoir, vient d’en trahir la flame.
Je l’ay fait eclater, j’ay parlé, j’ay gemy
Devant ce beau soleil, mon aimable ennemy,
Et j’ay bien eu l’audace, apres un si grand crime,
De supplier ses yeux d’avouer pour victime
Agreable à son cœur le mien, que ses appas
Menent comme en triomphe au chemin du trespas.
Ô langue trop hardie ! ô licence effrenée !
Ô faute sans exemple ! ô ciel ! ô destinée
Qui gouvernes mes jours, et n’as deu qu’à regret
Consentir au dessein de rompre mon secret !
Que je me sens coupable, et combien j’ay d’envie
D’expier par ma mort les erreurs de ma vie !
Depuis sept mois entiers, nombre misterieux,
Que j’adore captif cet objet glorieux,
Ce miracle d’honneur, de vertus et de charmes,
Cette illustre beauté, doux sujet de mes larmes,
Depuis l’heureux moment qu’en si claire prison
Ma liberté se mit avecque ma raison,
Et que navré d’amour, mon jugement essaye
Non pas de me guerir, mais de cacher ma playe,
Un sort delicieux m’a souvent fait jouir.
Du plaisir de la voir, du bonheur de l’ouir,
D’admirer de sa main l’agile et mol albastre,
Quand avec des accens que l’oreille idolastre,
Sur les nerfs d’un bois creux qui chante et qui se plaint,
Qui m’esveille et, m’endort, me flatte et me contraint,
Ses doigts harmonieux font aux miens telle honte
Que de leur melodie on ne fait plus de conte.
J’ay veu ses beaux cheveux, blonds charmes des regars,
Sous l’yvoire ; d’un peigne à l’entourt d’elle espars,
Representer au vray le Pactole en sa source,