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Le Melon.

De qui la vigilence aux festins est utile,
Et qui n’entreprend rien dont il ne vienne à bout,
C’est qu’il s’estoit chargé de donner ordre à tout.
Or, pour venir au poinct que je vous veux déduire,
Où je prie aux bons Dieux qu’ils me veuillent conduire,
Vous sçaurez, compagnons, que parmy tant de mets,
Qui furent les meilleurs qu’on mangera jamais,
Et parmy tant de fruicts, dont en cette assemblée,
Au grand plaisir des sens la table fut comblée,
Il ne se trouva rien à l’égal d’un melon
Que Thalie apporta pour son maistre Apollon.
Que ne fut-il point dit en celebrant sa gloire !
Et que ne diroit-on encore à sa mémoire ?
Le Temps, qui frippe tout, ce gourmand immortel,
Jure n’avoir rien veu ny rien mangé de tel !
Et ce grand repreneur, qui d’une aigre censure
Vouloit que par un trou l’on nous vist la fressure,
Mome le mesdisant, fut contraint d’avouer
Que sans nulle hyperbole on le pouvoit louer.
Dès qu’il fut sur la nape, un aigu cry de joye
Donna son corps de vent aux oreilles en proye ;
Le cœur en tressaillit, et les plus friands nez
D’une si douce odeur furent tous estonnez ;
Mais quand ce vint au goust, ce fut bien autre chose :
Aussi d’en discourir la muse mesme n’ose ;
Elle dit seulement qu’en ce divin banquet
Il fit cesser pour l’heure aux femmes le caquet.
Phœbus, qui le tenoit, sentant sa fantaisie
D’un desir curieux en cet instant saisie,
En coupe la moitié, la creuse proprement ;
Bref, pour finir le conte, en fait un instrument
Dont la forme destruit et renverse la fable
De ce qu’on a chanté, que jadis sur le sable
Mercure, trouvant mort un certain limaçon,
Qui vit par fois en beste et par fois en poisson,