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Ces chutes, ne m’étonnent pas. Un bourgeois, après son dîner, aux grands jours, se permettent parfois une bouteille de bordeaux ou de Champagne ; mais un homme de qualité buvoit souvent, avant de se lever de table, un grand seau de vin. En doutez-vous ? lisez dans l’abbé de Saint-Pierre le discours préliminaire des Annales politiques, cité et confirmé par Monteil.

Quelques efforts que l’on fasse pour relever un peu l’opinion sur ces cabarets où l’on vendoit la folie par bouteilles, où Saint-Amant aimoit à grenouiller, moins le temps des offices, bien entendu : — il n’auroit pas voulu exposer aux galères le cabaretier qui pendant ce temps l’aurait gardé chez lui ; — où Racan, jeune et pauvre, logea si long-temps ; où Chapelle enivra Boileau, qui lui faisoit un sermon sur l’ivrognerie ; où Mezeray composoit tous ses écrits ; où Racine, encore en 1666, abrégeoit les ennuis de son séjour à Babylone (Chevreuse) en y allant deux ou trois fois le jour ; où Linière chansonnoit Boileau en dépensant l’argent qu’il venait de lui emprunter ; où du Perron, avant d’être élevé à la dignité de cardinal, se prit de querelle avec un étranger qu’il poignarda plus tard, si l’on est forcé de convenir qu’ils pouvoient être souvent des lieux de réunion fort innocents, une sorte d’anticipation du café Procope, on ne peut nier au moins que les gens de lettres qui s’y rendoient ne fussent d’un laisser-aller fort peu décent : je ménage mes termes. Mais certainement peu d’ecclésiastiques aujourd’hui auraient l’indulgence de l’évêque de Nantes, Philippe Cospeau, homme d’un grand talent et d’une piété profonde, qui portoit à Saint-Amant un vif intérêt et lui donnoit de sages conseils.

Tout débauché qu’il étoit, Saint-Amant avoit toujours conservé pour la religion un respect qui ne le quitta jamais, et il savoit trouver le temps, entre le broc et la pipe, de mûrir de grandes pensées, de nobles sentiments, dont il est agréable de retrouver l’expression dans ses œuvres. Sa pièce du Contemplateur nous paroit supérieure à ses autres ouvrages, sans en excepter la Solitude ; elle témoigne à la fois d’un esprit plus profond, d’un cœur plus tendre. On peut la citer