Page:Saint-Amant - Œuvres complètes, Livet, 1855, volume 1.djvu/157

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C’est assez qu’elle ait dit que, surpassant les cieux,
Elle peut faire voir deux soleils en ses yeux.
Eh ! quel aigle hautain, exerçant ses prunelles,
Auroit bien ramassé tant de vigueur en elles,
Qu’il pust considerer d’un effort inouy
Deux soleils à la fois sans en estre eblouy ?

Je depeindroy son front si le jaloux Zephire,
Redoutant que l’amour ne me le fist decrire,
Et qu’un autre que luy ne luy portast ses vœux,
Ne me le cachoit point avec ses blonds cheveux.
Que ne diroy-je pas de sa voix angelique,
Qui chasse des esprits l’humeur melancolique !
Quelle stupidité ne s’en éveilleroit !
Quelle estrange fureur ne s’en assoupiroit !
Avec quels doux propos et quels amoureux gestes
Vante-t-on son beau sein, ces deux mondes celestes !
Que l’on est estonné, lors qu’on pense à ce point,
Qu’en se voyant si beaux ils ne se baisent point !

Ô Damon ! ô Damon ! que l’on te porte envie
Quand on te voit mener une si douce vie,
Que de souffrir ainsi le martyre d’amour
Pour le plus bel objet qui jamais vit le jour !
Mais n’en sois point en peine, aucun ne t’y peut nuire ;
C’est sur toy seulement que ses yeux daignent luire :
Car ton heureux destin, travaillant à ton bien,
A tant fait que d’abord il a gaigné le sien.

Enfin, quand ses faveurs et ta perseverance
Par la possession t’osteront l’esperance,
Je croy que tu diras qu’après un tel plaisir
Tu ne sçaurois trouver dequoy faire un desir.