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J’y porte l’allumette, et n’osant respirer
De crainte de l’odeur qui m’en fait retirer,
Au travers de ce feu puant, bleuastre et sombre,
J’entrevoy cheminer la figure d’une ombre,
J’entens passer en l’air certains gemissemens,
J’avise en me tournant un spectre d’ossemens ;
Lors, jettent un grand cry qui jusqu’au ciel transperce,
Sans poux et sans couleur je tombe à la renverse.
Mon hoste et ses valets accourent à ce bruit,
Mais de tout leur travail ils tirent peu de fruit ;
Ils ont beau m’appeller, et d’un frequent usage
Me repandre à l’abord de l’eau sur le visage,
M’arracher les sourcils, me pincer par le nez,
Et s’affliger autant comme ils sont etonnez,
Je ne puis revenir non plus que si la Parque
M’avoit desja conduit dans la fatale barque.
Je suis tellement froid, que mon corps au toucher
Ne se discerne point d’avecques le plancher,
Où gisant de mon long, toute force abatue,
On diroit, à me voir, que je suis ma statue.
Il me souvient encore, et non pas sans terreur,
Bien que je sois certain que ce fut une erreur,
Que la premiere nuit qu’au plus fort des tenebres
S’apparurent à moy ces visions funebres,
M’estant esvanouy, comme je l’ay descrit,
De l’extreme frayeur qui troubla mon esprit,
Et ces gens essayans d’une inutile peine
À me restituer la chaleur et l’haleine,
Un d’entr’eux s’avisant de me donner du vin,
Bacchus, que j’ay tenu tousjours plus que divin,
Resveillant tout à coup ma vigueur coustumiere,
Fit resoudre mes yeux à revoir la lumiere.
Alors, comme en sursaut je me leve tout droit,
Representant au vif un mort qui reviendroit ;
Puis, regardant partout d’une veue egarée,