Page:Saint-Amant - Œuvres complètes, Livet, 1855, volume 1.djvu/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Plus brillans que jamais, sembloient rire à ses yeux,
Et dire qu’il estoit en la grace des dieux.
Mais entre tous on tient que la lyre d’Orfée,
De l’amour de son lut vivement échauffée,
Ayant de ses rayons tout nuage écarté,
Le rejouit beaucoup avecques sa clarté.
En un tel accident, qui n’eut jamais d’exemple,
Ravy de son bon-heur, en doute il se contemple,
Croit n’estre pas soy-mesme, et qu’il est trop abjet
Pour de tant de faveurs estre le digne objet.
Tantost il se figure estre en l’erreur d’un songe.
Où son esprit trompé fantasquement se plonge ;
Tantost il prend cela pour quelque enchantement,
Et n’en a pas pourtant moins de contentement ;
Toutesfois, à la fin, il le croit veritable,
Jugeant avec raison que le Ciel équitable,
Qui de nostre innocence est le plus seur appuy,
Montre les doux effets de sa justice en luy.
Lors, pour n’estre accusé d’extrême ingratitude,
Vice qui dans son cœur n’eut jamais d’habitude,
Mille remercimens il en fait au destin,
Luy consacrant sa voix son lut et son butin
Pour en faire construire un autel à sa gloire,
Où l’on verroit au long depeinte son histoire ;
Et pour le confirmer et de l’ame et du corps,
Sa main, au lieu de signe, en passe mille accors.
Ses doigts de plume et d’encre en ce sujet luy servent,
Les airs comme tesmoins la promesse en conservent,
Le temps les enregistre, et dit qu’à l’advenir
ll le conseillera de s’en ressouvenir.
Aux tremblemens subtils de sa main delicate,
Sous qui la chanterelle en mille tons s’eclate,
Le daufin, qui sous luy couloit si promptement,
Pour l’ouyr plus long-temps vogant plus lentement,
Nage moins dans la mer qu’il ne fait dans la joye,