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Empesche desormais qu’un dessein si barbare
Qu’est celuy que j’exprime en ce stile assez rare
Ne naisse dans l’esprit d’aucun des matelots
Que ta charge institue au commerce des flots.
Quand il se vit comblé de richesse et de gloire,
Ce fameux Arion, digne de ta memoire,
Qui par les tons mignars d’une amoureuse vois
Doucement alliez aux charmes de ses dois,
Ostoit l’ame aux humains pour la donner aux marbres,
Domtoit les animaux, faisoit marcher les arbres,
Arrestoit le soleil, precipitoit son cours,
Prolongeant, à son choix, ou les nuits ou les jours,
Réveilloit la clemence, endormoit le tonnerre,
Abaissoit la fierté du demon de la guerre,
Et banissoit des cœurs qui s’approchoient de luy,
Mesme au fort des tourmens, la douleur et l’ennuy ;
Un naturel desir de revoir sa patrie,
Où l’on le reveroit avec idolatrie,
Flattant ses sentimens en ce lointain sejour,
Le vint solliciter d’y l’aire son retour.
D’ailleurs, estant mandé du sage Periandre,
De qui le seul vouloir l’y faisoit condescendre,
Il s’appreste à partir du rivage latin,
Pour s’en aller en Grece achever son destin,
Use de diligence à chercher un navire
Qui tende à la contrée où son dessein aspire ;
En trouve un de Corinthe à cela preparé ;
Serre son lut d’yvoire en son estuy doré,
Prend congé, non sans pleurs, bien qu’entremeslez d’aise,
De ses plus chers amis, les embrasse, les baise,
S’embarque en leur presence, et, par un long adieu,
Temoigne du regret d’abandonner ce lieu.
On leve aussitost l’ancre, on laisse choir les voilles,
Un vent frais et bruyant donne à plein dans ces toilles ;
On invoque Thetis, Neptune et Palemon,