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VOLTAIRE QUITTE LA PRUSSE.

mais, à côté de ce motif d’exagération, nous trouvons chez lui cette tendance à laquelle il sera fidèle quand il traitera de sang-froid des sciences naturelles, cette aversion prononcée pour toute explication systématique des phénomènes. Il réagit contre l’habitude invétérée qui portait les savants de son siècle à ne regarder la nature qu’à travers des théories. Dès qu’on tente d’expliquer les faits, il se défie et se rebiffe.

Au reste, nous le verrons tout à l’heure juger plus explicitement quelques-uns des sujets qu’il ne fait ici qu’effleurer, et nous pourrons mieux indiquer ce qu’il y a de juste et ce qu’il y a d’exagéré dans cette tendance que nous signalons à propos de sa querelle avec Maupertuis.

À l’époque où Frédéric fit brûler la Diatribe d’Akakia les rapports étaient déjà tendus entre le roi et le philosophe. Celui-ci avait grand soin d’envoyer ses fonds hors de Prusse ; ayant à disposer de trois cent mille livres, il les avait placées sur les terres que le duc de Virtemberg possédait en France : le roi, qui le savait, ne voyait pas cette précaution sans dépit. D’un autre côté, un propos déplaisant du roi était venu aux oreilles de Voltaire. Comme on se plaignait de la faveur du nouveau chambellan : « Laissez faire, avait dit Frédéric, on exprime le jus de l’orange, et on la jette ensuite. » Depuis ce moment, Voltaire songeait sérieusement à mettre en sûreté « les pelures de l’orange » ; il cherchait un prétexte pour quitter la Prusse.

Aussitôt après l’exécution juridique de la Diatribe, il renvoya au roi le brevet de sa pension et sa clef de chambellan ; mais Frédéric l’obligea à les reprendre, et le départ de Voltaire se trouva retardé de quelques semaines.

Il avait quitté Potsdam, comme nous l’avons dit, et s’était retiré à Berlin, d’abord dans une maison au centre de la ville,